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L’histoire de Cody

J’ai besoin d’un rein.

Réduit au silence par le cordon qui m’a donné la vie dans le ventre de ma mère.

Le personnel infirmier, ma mère, mon père, ma sœur et ma grand-mère me regardaient tous dans le berceau tandis que le médecin tentait désespérément de retirer le mucus dans mes voies respiratoires pour laisser entrer de l’air. Pour que je prenne mon premier souffle.

Le silence, à l’exception de la succion et des bruits de l’aspirateur nasal.

L’inquiétude et la tension étaient palpables, et après un long moment, j’ai enfin poussé un cri.

Je suis là.

Je m’appelle Cody Dubeau et j’ai 24 ans. J’ai vu plus de bureaux de médecins et de chambres d’hôpital que les membres de ma famille entière peuvent compter sur tous les doigts de leurs mains et orteils réunis. À l’âge d’un an, j’ai reçu le diagnostic de maladie rénale polykystique après une intervention visant à retirer une hernie. Mes reins ne ressemblent pas aux vôtres ni ne fonctionnent comme eux. Plutôt que d’avoir la forme traditionnelle d’un haricot dont l’extérieur est lisse, mes reins sont petits, comme de petites boules, et recouverts de kystes. Des millions de kystes. Beaucoup trop nombreux pour un traitement au laser. Je suis sur une liste d’attente pour une greffe depuis 23 ans.

J’ai besoin d’un rein.

Mes parents ont divorcé lorsque j’avais trois ans, laissant une profonde blessure qui prendra toute une vie pour guérir. Ma mère devait travailler beaucoup pour joindre les deux bouts, ma sœur et ma grand-mère comblaient le vide lorsqu’elle était absente. Alors que ce fardeau émotionnel était lourd pour tous ceux qui m’entouraient, je ne savais pas trop quoi en faire. J’avais mal. J’étais triste. Je n’arrivais pas à m’y retrouver dans ce chaos déroutant.

J’ai reçu le diagnostic de retard global du développement à l’âge de quatre ans. Ils pensent que le cordon enroulé autour de mon cou à la naissance a contribué aux retards de développement de mon cerveau. Je ne parlais pas beaucoup et j’utilisais d’autres moyens pour obtenir ce que je voulais ou ce dont j’avais besoin. Je ne m’exprimais pas vraiment comme les autres enfants dans mon entourage. La structure de mes os était également différente, ne s’étant pas développée au rythme prévu. L’école fut très difficile avec en plus, un diagnostic de TDAH. Je me suis souvent absenté de l’école pour passer des tests et des évaluations, et à cause de l’intimidation.

J’ai besoin d’un rein.

J’ai subi ma première crise d’épilepsie à la fin de 2014. J’ai revu le médecin encore plus souvent après le diagnostic d’épilepsie, car il changeait et essayait différents médicaments et dosages afin de trouver une combinaison qui n’aurait pas de contre-indication avec les médicaments pour mes reins. Cela a pris beaucoup de temps, et après plusieurs crises d’épilepsie, un équilibre fut trouvé. Ma dernière crise d’épilepsie remonte à avril 2021.

Ma grand-mère est décédée en 2016. Une autre perte à laquelle je n’arrivais pas à faire face, mais que j’ai observée pendant que ma famille la pleurait. Cette perte, les relations tendues au sein de ma famille, le déménagement pour aider ma mère à s’occuper de mon grand-père malade, et mes maladies, ont tous contribué à une vie marquée par l’anxiété et la peur.

J’ai besoin d’un rein.

Mes reins nous ont parfois surpris, leur fonction s’est améliorée et j’ai eu droit à un répit. C’était le bon temps. J’ai eu la permission de manger du gâteau au chocolat à la fête de ma nièce, j’ai mangé des croustilles salées et du maïs soufflé, j’ai joué à des jeux de société et regardé des films avec ma sœur, et j’ai dégusté des fraises bien juteuses à la plage durant l’été. Plus maintenant. Dernièrement, chaque rendez-vous chez le médecin nous fait trembler d’anxiété. Conduire, les nerfs à vif, jusqu’à l’Hôpital Reine Elizabeth pour savoir à quel point la fonction de mes reins s’est dégradée. Malgré des efforts acharnés pour manger plus sainement, faire bouger mon corps et prendre soin de moi. Je suis actuellement au stade 5 d’insuffisance rénale. Mes reins ne fonctionnent plus qu’à un faible 11 %. Ma mère et moi avons préparé la maison pour y installer une machine à dialyse permanente qui, semble-t-il, sera une partie inévitable de mon avenir, pour le reste de ma vie. Plus je vieillis, plus je comprends. Si seulement je pouvais avoir un rein …

Pour ceux et celles qui ne comprennent pas vraiment les personnes ayant des besoins particuliers, sachez que nous avons de la valeur. Nous prions pour une normalité. Nous prions pour exister dans le monde, dans nos collectivités, dans nos relations, de manière que les gens voient notre valeur. Nous apportons de la joie, à notre manière, à nos proches. Nous ne sommes pas définis par nos incapacités. Ni par nos obstacles, ou les défis. Nous sommes plus que cela.

Avec un nouveau rein, je n’aurais plus jamais à suivre de dialyse. Je n’aurais plus à m’inquiéter. Je pourrais retrouver la vie normale que je mérite et peut-être mon autonomie. Je pourrais savourer les aliments qui me manquent tant. Je pourrais faire plus d’exercice sans crainte de blessures aux mauvais endroits. Le poids insurmontable sur mes épaules, et sur celles de ma mère, disparaîtrait. Le soleil serait plus radieux, mes rires plus francs et mon armoire à pharmacie presque vide.

J’ai besoin d’un rein.